- PRÉHISTOIRE - Industrie de l’os
- PRÉHISTOIRE - Industrie de l’osL’homme a très vite compris que l’os, à l’image de la pierre (et certainement des matériaux périssables comme le bois) pouvait lui servir de matière première. L’industrie de l’os accompagne toutes les cultures préhistoriques, elle s’intègre dans le faisceau des vestiges de toute nature qui nous renseignent sur le mode de vie, les habitudes, le niveau conceptuel de ceux qui les animaient. Comme il est impossible, en quelques lignes, de donner une image complète de l’utilisation de l’os par l’homme préhistorique, nous avons choisi d’insister ici uniquement sur quelques cultures qui jalonnent et illustrent de façon particulièrement intéressante la longue histoire technique de cette matière. Ainsi, après un survol des périodes les plus anciennes, le Paléolithique ancien et le Paléolithique moyen, où l’utilisation de l’os est la même dans le monde entier, nous centrerons notre étude sur l’Europe occidentale où naquirent, au Paléolithique supérieur, les civilisations qui ont le mieux maîtrisé cette technique. Puis, à la lumière des cultures du Proche-Orient, nous essaierons de saisir ce que l’étude des objets en os nous apprend sur les mutations importantes qui transformeront le chasseur-cueilleur des premiers temps en pasteur ou en agriculteur installé dans des villages construits.Le Paléolithique inférieur: les premières utilisations de l’osL’homme avant de fabriquer véritablement des outils pour accroître ses pouvoirs a sans doute ramassé autour de lui, pour les utiliser, des objets dont la forme naturelle et la matière lui convenaient. Cette hypothèse est confirmée par les premiers outils en os (par exemple ceux qui ont été trouvés à Melka Konturé par J. Chavaillon et qui datent de 1 700 000 ans), qui ne sont jamais taillés intentionnellement mais simplement récupérés parmi les restes de nourriture. À ces outils rudimentaires qui posent d’ailleurs de difficiles problèmes d’identification, puisque seules les traces d’utilisation les distinguent des déchets domestiques, le préhistorien hésite à accorder le statut d’«outil humain». Il faut cependant rappeler que pendant la période d’utilisation de ces déchets osseux, qui dure près d’un million d’années, l’homme taille déjà volontairement des outils en silex de forme déterminée et répétitive (les bifaces), mais se sert principalement d’éclats en pierre eux aussi récupérés. C’est grâce à la notoriété de Henri Breuil que fut admise, entre 1932 et 1950, la réalité de ces outils d’os primitifs dont Dart, le premier, dès 1924, avait perçu l’importance.À partir de l’Acheuléen, près d’un million d’années plus tard, à côté des os utilisés qui resteront d’ailleurs présents tout au long de la préhistoire, apparaissent des outils volontairement taillés. Mais, comme le note H. Breuil: «L’os a été travaillé par percussion comme une pierre animale» et ce travail ne concerne toujours pas la totalité de l’objet. Seule en effet la partie qui servira est reprise: l’outil, de ce fait, a une forme générale aléatoire, celle de l’éclat d’os qui a été récupéré ou extrait par percussion. Mais l’homme donne aussi beaucoup d’importance à la diversité des formes naturelles de l’os et sait en tirer le meilleur parti en les choisissant selon ses besoins.Les exemples d’outils d’os de forme aléatoire sont nombreux. Les sites de Torralba et Ambrona (Espagne) en ont livré de grandes séries; pour mieux comprendre le processus de fabrication de ces outils, deux chercheurs, Aguirre et Biberson, les ont reproduits expérimentalement en choisissant les os les plus souvent prélevés dans le site: os longs (tibias, fémurs) et parfois os plats (côtes, bassins) d’éléphant. Ils ont découvert que pour arriver à l’outil taillé, il fallait déployer une force et une dextérité nettement supérieures à celles qui étaient nécessaires pour façonner des outils en pierre. Des gestes de percussion directe ou indirecte avec un coin mais aussi de rainurage et de flexion président obligatoirement à la fabrication. Les outils de Torralba sont en général robustes et pointus, leur extrémité est émoussée par l’usage; il n’est pas exclu qu’ils aient pu être utilisés sur des matières dures telles que le bois. En France, à la même période, des outillages comparables ont été trouvés dans plusieurs sites méridionaux, comme le Mas des Caves (Hérault) étudié par E. Bonifay.Le Paléolithique moyenRien, au Paléolithique moyen, ne suggère de changement décisif dans la conception de l’outil d’os ou dans sa fabrication. Les outils de récupération sont toujours très nombreux; à côté d’eux vont simplement se multiplier les éclats d’os retouchés. À la Cueva Morin (Espagne), le nombre des outils en os et en silex est le même mais la forme générale des premiers reste le plus souvent aléatoire. Comme auparavant, seule la partie active est retouchée: longs bords rectilignes suggérant l’utilisation de l’outil comme couteau ou racloir, pointes nettement dégagées, tranchants situés à une extrémité de l’outil pour en faire peut-être un ciseau ou un tranchet. On continue à trouver de temps en temps les témoins de gestes plus précis: quelques outils, au sens propre du mot, commencent à prendre forme, annonçant les poinçons (petits outils pointus) qui deviendront les pièces les plus courantes de l’outillage osseux préhistorique, d’autres annoncent les sagaies qui n’apparaîtront vraiment qu’au début du Paléolithique supérieur. Raclage et abrasion sont parfois utilisés pour façonner la partie active d’un outil sans toutefois devenir des techniques courantes: on en trouvera des traces à la Cueva Morin et à la Quina où H. Martin a fait d’intéressantes observations; on découvrira même des outils qui témoignent d’un geste nouveau, celui de percer, comme au Pech de l’Azé II. D’autres sites révèlent l’existence de coquilles percées, témoins les plus anciens de préoccupations artistiques, ou du moins non utilitaires, chez l’homme.Il est intéressant de constater que jusqu’à la fin du Moustérien l’outil d’os demeurera, le plus souvent, informe, alors que l’outil de pierre atteindra une perfection qui atteste des capacités d’abstraction tout à fait remarquables chez l’homme de cette époque. Ce décalage peut être imputé, entre autres causes, à l’ignorance d’une réalité fondamentale: l’os est différent de la pierre; le tailler comme elle, par percussion, équivaut à tailler une roche de mauvaise qualité; l’utiliser pour agir sur le monde extérieur de façon similaire conduit aussi à la création d’outils moins solides, d’une moins grande efficacité. Cette double prise de conscience viendra à l’homme, curieusement, bien après qu’il ait inventé, ici ou là, les techniques spécifiques du travail de l’os. Nous avons vu qu’il y avait des témoins extrêmement anciens de sciage, de raclage, de percement et même d’abrasion de l’os, mais ils restaient épars, et c’est seulement au Paléolithique supérieur que toutes ces techniques enfin couramment appliquées vont entraîner l’homme dans un enchaînement d’inventions techniques unanimement reconnues comme remarquables.Le Paléolithique supérieur d’Europe occidentaleC’est vers 40 000 avant J.-C. que commence le Paléolithique supérieur avec une première culture qui reste une culture de transition: le Châtelperronien. Son industrie de l’os est encore mal connue; les poinçons y figurent, peut-être aussi d’autres outils plus élaborés. Il faut attendre l’Aurignacien, dix mille ans plus tard, pour trouver en Europe une culture faisant preuve pour la première fois d’une maîtrise complète des techniques appropriées au travail de l’os, d’un intérêt particulier pour cette matière et de conceptions nouvelles sur le plan de la création d’outils, d’armes et de parures.La révolution technique de l’AurignacienL’industrie de l’os de l’Aurignacien nous fait assister à une véritable révolution technique: il y a prise de conscience des qualités spécifiques de la matière osseuse et des gestes qui permettront d’en tirer le meilleur parti. Grâce à ce progrès, des objets aux contours définis et précis vont pouvoir être créés, des formes complexes impossibles à réaliser en pierre seront conçues. Des techniques de grande précision deviennent alors courantes, telles que le sciage transversal pour tronçonner un os à l’endroit exact où on le désire et la gravure de rainures longitudinales pour extraire d’un os long des languettes ou ébauches. Le raclage de l’os avec un éclat ou le flanc d’un burin devient la grande technique de façonnage des objets; l’abrasion reste occasionnelle. La percussion n’est pas réellement abandonnée, mais on n’y a recours que pour certaines catégories d’objets: elle est en réalité très certainement sous-estimée par les chercheurs en raison de la fascination des premiers préhistoriens pour les objets les plus perfectionnés ou les plus beaux. Le fabricant a compris qu’il pouvait découper l’os et le sculpter; il en a découvert les qualités plastiques propres, mais en même temps il semble qu’il ait mis momentanément de côté une vieille tradition qui impliquait elle aussi une réelle connaissance de la matière osseuse: le choix de l’os pour sa forme naturelle, utilisable telle quelle. En façonnant des objets à partir de languettes de forme géométrique simple, l’artisan ramène en effet l’os au statut de matière première amorphe. Mais nous verrons que cet oubli ne durera pas.Quant à la nature des objets créés par les Aurignaciens, elle marque une rupture nette avec les époques précédentes. Les objets ont maintenant des formes variées mais bien définies et répétitives. Ces formes témoignent d’un début de spécialisation et rappellent souvent des outils et des armes qui sont encore en usage dans les sociétés traditionnelles ou dans les secteurs qui sont restés traditionnels dans la société moderne. C’est cette analogie qui permit aux premiers préhistoriens de désigner pour eux le «premier outil» ou la «première arme» d’une fonction donnée. Grâce aux progrès des techniques de reproduction et de lecture des traces d’utilisation des outils, nous savons maintenant que leurs attributions sont souvent fondées, mais qu’elles méritent d’être nuancées, assouplies et, dans quelques cas, contredites.Outils et armes se dissocient donc. Parmi les outils pointus, les poinçons se diversifient: certains ont une pointe à chaque extrémité et font penser à des hameçons droits; des épingles à tête renflée apparaissent (elles sont peut-être des objets de parure). De longs objets aplatis peuvent indifféremment servir, comme l’attestent avec netteté leurs traces d’usure, de lissoir à peaux ou de chasse-lame adapté à la taille du silex; la spécialisation de l’outil n’est pas, comme on le voit, tout à fait acquise. Le bâton percé , outil robuste fait à partir d’un bois de cervidé perforé dans une portion élargie, indique peut-être, comme le fait remarquer A. Leroi-Gourhan, une connaissance intuitive du principe du levier: ce bâton peut en effet servir à redresser les armatures en bois animal qui sont courbes lors de leur extraction; mais, comme le montre L. Mons, les traces qui entourent la perforation témoignent du frottement d’une matière souple: s’agissait-il d’assouplisseurs de lanières? En tout cas, les armatures existent et méritent le nom de sagaies en considération de l’aménagement de leur base. Nous réalisons avec elles que le principe de l’emmanchement est acquis (il l’était probablement déjà au Moustérien comme le suggèrent certains outils en pierre aménagés à la base).L’Âge d’or de la technologie de l’os: le MagdalénienLes cultures qui succéderont à l’Aurignacien accorderont à la matière osseuse une inégale importance, et ce sera uniquement à la fin du Paléolithique supérieur que nous assisterons, avec la culture magdalénienne, née dans le sud-ouest de la France vers 17 000 avant J.-C., à une nouvelle explosion créatrice dans le domaine du travail de l’os.Les techniques de fabrication découvertes à l’Aurignacien s’y améliorent et s’affinent, le rainurage devient courant et s’applique maintenant à des objets de très petite taille. C’est surtout dans le domaine de l’art et de la parure que l’homme trouve l’occasion de développer une maîtrise technique qu’il ne dépassera plus. Il découpe les os plats selon les tracés les plus divers: contours géométriques, profils d’animaux d’un réalisme frappant. Il sculpte l’os, le grave, l’évide et crée sur des plaquettes extraites d’os plats, sur des os longs ou des bois de renne, des figures animales, des scènes complexes ou encore des décors géométriques savamment imbriqués. Cet art de l’os n’est nullement en rupture avec celui de la pierre, mais il mérite d’être traité à part à cause de l’importance du choix du support et des répercussions de ce choix sur la nature et le style de ce qui est exprimé. Les outils eux-mêmes sont souvent décorés, particulièrement ceux dont l’emploi est fréquent et domestique; les armatures de jet le sont moins. Le décor d’un outil ne constitue en aucun cas une gêne sur le plan de la préhension ou de l’efficacité mais peut, au contraire, être le support d’une fonction particulière (contrepoids volumineux sculpté, rainures destinées à divers usages).Tous les outils et les armes inventés à l’Aurignacien continuent à servir en se perfectionnant. Pour les sagaies, les Magdaléniens essaient tous les modes de fixation possibles en faisant varier la forme de la base: la cohésion entre la hampe et l’armature est assurée par juxtaposition (sagaies à biseau simple), puis par un emmanchement mâle (sagaies à double biseau) ou femelle (sagaies à base fourchue).À côté des outils hérités du passé vont apparaître des instruments encore plus complexes et plus spécialisés, qui témoignent du progrès technique et conceptuel des Magdaléniens de façon bien plus explicite que les outils de pierre fabriqués à la même époque. Dans le domaine domestique, l’aiguille à chas est inventée. Il s’agit assurément d’un outil complexe puisqu’il est conçu pour répondre seul à plusieurs fonctions: celle de percer et celle de retenir un lien et d’en permettre le passage à travers une épaisseur de matière. Petit bâtonnet d’os soigneusement façonné, l’aiguille magdalénienne peut atteindre des dimensions si réduites que la précision du fabricant devient une exigence impérative faute de quoi l’outil se brisera à la première occasion. Ainsi le chas doit être centré avec exactitude, et il l’est au dixième de millimètre près dans la plupart des cas. Les techniques de percement sont diverses: comme pour la base des sagaies, on a l’impression d’une véritable recherche expérimentale.Dans le domaine de la chasse et de la pêche, deux nouveaux outils vont surpassertous les autres en complexité: le harpon et le propulseur . La tête de harpon est une armature conçue pour être plantée ou lancée; elle doit pénétrer dans la bête à abattre et y demeurer même si celle-ci se débat ou s’éloigne tout en restant reliée à l’utilisateur. Ces exigences ont trouvé leur réponse dans le harpon magdalénien qui possède une base propre à l’emmanchement (pour faire corps avec la hampe le temps du lancé), un renflement ou un trou (pour tenir la ligne) et des barbelures d’abord unilatérales puis indifféremment uni- ou bilatérales (pour s’accrocher à l’animal). Une étude de M. Julien a montré que la grandeur et l’espacement des barbelures avaient plus d’importance que leur situation: ces deux caractères traduisent sans doute une adaptation du type d’arme au gibier recherché. Le degré de spécialisation du harpon est donc beaucoup plus poussé que celui de la sagaie, non seulement parce qu’il implique des techniques de chasse ou de pêche tout à fait particulières mais surtout parce qu’il présente des variantes fonctionnelles véritables. Quant aux propulseurs, dont on connaît le fonctionnement grâce aux chasseurs australiens qui l’utilisent encore, il consiste en une longue baguette en bois de cervidé munie à une extrémité d’un crochet souvent intégré dans une sculpture en ronde bosse. L’arme de jet tenue fermement avec le propulseur, calée contre le crochet puis projetée en avant avec lui, reçoit au moment du lancé une force amplifiée par toute la longueur de cette première «machine» de tir. L’ingéniosité de l’homme magdalénien culmine dans cette invention.Malheureusement celle-ci s’inscrivait dans un contexte de parfaite adaptation à un milieu très particulier, celui d’un climat rigoureux où le renne jouait un rôle prédominant. Lorsque le climat devint tempéré, c’est toute la culture magdalénienne qui bascula et, avec elle, l’exubérance des créations artisanales aussi bien qu’artistiques.Avant de disparaître, les Magdaléniens léguaient au monde préhistorique une dernière invention: l’outil composite dont le support est en os (ou en bois) et la partie active en silex. Née d’une connaissance aiguë des qualités et des limites des matières qui s’y combinent, cette invention (qui se fit simultanément en divers points du globe) allait modifier fondamentalement et pour plusieurs millénaires la conception même du langage artisanal. L’outil composite se monte comme un jeu de construction qui comporte un élément unique en os, le support, creusé d’une ou de plusieurs rainures, et un jeu d’éléments en silex (les microlithes) de forme simple, souvent géométrique, qui viendront s’y insérer, fixés par un mastic. Le support en os est ici l’élément stable; il détermine la forme générale de l’outil (et guidera à ce titre l’interprétation fonctionnelle), alors que les armatures en silex pourront être remplacées à l’infini, chaque fois en tout cas qu’elles seront usées ou brisées. Ces ingénieux outils d’un nouveau genre ne seront pas toujours, à proprement parler, des inventions. En Europe du Nord, il s’agit le plus souvent de harpons (à barbelures en silex), armes de pêche ou de chasse perpétuant les modèles anciens; en revanche, au Proche-Orient, à côté des armes apparaîtront les premiers couteaux et peut-être les premières faucilles qui inaugureront d’importantes mutations culturelles à partir de 10 000 avant J.-C.Le Proche-Orient à partir de 10 000 avant J.-C.: les débuts de la sédentarisation et la néolithisationLes Aurignaciens d’Europe ont véritablement inventé les techniques du travail de l’os et les Magdaléniens les ont développées jusqu’à la perfection. Pendant ce temps, les cultures qui se succédaient au Proche-Orient continuaient à ne produire en os que des poinçons qu’un décor géométrique venait parfois orner. Mais alors que déclinait la civilisation magdalénienne, une culture spécifiquement orientale, le Natoufien, rattrapa, vers 10 000 avant J.-C., par l’intérêt qu’elle consacra au matériau osseux, tout le retard accumulé. L’outil spécialisé y est tout de suite présent sous forme d’hameçons et de pointes barbelées; l’outil composite est courant si l’on en juge par la grande quantité de microlithes retrouvée et la présence de supports osseux rectilignes porteurs d’une rainure. Il s’agit peut-être de simples couteaux, mais il n’est pas impossible qu’ils aient servi à des activités de cueillette, ce qui, dans le contexte des Natoufiens, est important. En effet, nous sommes à une époque charnière où s’édifient les premiers villages et s’amorce un mode de vie qui tient de plus en plus compte du monde végétal, de son exploitation comme de sa connaissance qui aboutira un jour à la production de subsistance. Les Natoufiens accordaient d’ailleurs à cet outil une attention toute particulière et l’ornaient (comme dans les sites du mont Carmel, en Israël) de rondes-bosses à thèmes animaliers dont la qualité et parfois le style ne sont pas sans rappeler l’art magdalénien. Si toutes les techniques de fabrication propres à l’industrie de l’os sont connues, leur application répond à certaines lois. L’abrasion par exemple est surtout utilisée pour la réalisation d’objets de parure, et ce fait est d’autant plus intéressant qu’il s’applique également à la pierre: au Natoufien existent des perles en pierre polie alors qu’il faudra attendre deux millénaires pour trouver les premières haches polies.Que se passe-t-il après le Natoufien, au cours des deux millénaires de néolithisation qui vont conduire à la production de subsistance et à l’édification de modèles sociaux nouveaux? Sur le plan technique, l’artisan revient à l’ancienne conception de la matière première, qui intègre une perception des formes naturelles des os et les exploite au maximum. L’os est donc choisi pour sa forme globale – un os plat servira à faire un objet plat –, ou pour la forme d’une de ses parties: une articulation globuleuse sera conservée, entièrement ou partiellement, à l’extrémité d’un outil pour lui servir de poignée. La plupart des outils courants seront ainsi obtenus avec peu d’efforts et sembleront, à juste titre, peu élaborés, mais cette option est tout à fait délibérée et n’a plus rien à voir avec une ignorance technique. L’artisan prouve souvent, au contraire, qu’il possède une maîtrise de toutes les techniques accumulées au cours du temps, enrichies même par quelques apports nouveaux tels que l’utilisation du foret pour percer les trous «mécaniquement», celle de l’abrasion pour façonner l’outil dans sa totalité, ou encore la chauffe volontaire des parties actives (elles en restent «vernies», ce qui améliore par exemple l’utilisation d’un poinçon qui devient glissant). L’artisan ajuste seulement le choix de ses gestes et la durée de son travail à la nature de l’objet qu’il réalise: on trouve ainsi, dans une même culture, des outils peu élaborés, des outils complexes difficiles à réaliser et même des productions artistiques de bon niveau. Ces éléments semblent indiquer chez l’homme en voie de néolithisation une plus grande souplesse au niveau des choix techniques qu’auparavant.Les objets en os néolithiques sont surtout des outils et des objets de parure. Pour les outils, le champ se réduit au domaine domestique: travail des peaux, des textiles, couture; quelques ustensiles viennent s’y joindre, des cuillers, de petites fourches, des instruments liés à la parure corporelle. Les objets de parure eux-mêmes sont courants: les éléments de collier s’accompagnent parfois de boucles de ceinture ou de boutons.L’os joue aussi un rôle important en dehors de l’habitat en servant à l’emmanchement des outils de pierre. On trouve maintenant des corps de faucilles courbes dont l’interprétation comme outil agricole ne fait plus de doute, des gaines de haches, des manches de couteaux parfois magnifiquement ornés (comme à Catal Hüyük, en Turquie). Ces domaines privilégiés dans lesquels intervient le plus souvent l’os resteront quasi inchangés jusqu’à l’époque moderne. La matière plastique fera alors ce que le métal n’aura pas réussi à faire, elle supplantera définitivement l’os dans presque toutes ses utilisations.
Encyclopédie Universelle. 2012.